GINGA TETSUDÔ 999
ANALYSE DE L'OEUVRE
Sexualité et rapport au corps


Quoique moins marqué que dans le manga, on ne peut passer sous silence le caractère érotique de l'initiation du garçon. Le nombre de scènes où Tetsurô se retrouve en présence de Maetel nue ou presque nue n'est pas négligeable. La jeune femme semble prendre un malin plaisir à brouiller les pistes. Elle protège le garçon comme une mère, mais s'amuse avec lui comme une soeur et s'exhibe (pour lui seul, d'ailleurs) comme une amante. Dès le début de la saga, le ton est donné quand Tetsurô surprend Maetel dans sa douche et s'en trouve très embarrassé... Quelques épisodes plus loin, le pirate Antarès se met à vanter devant le garçon les attributs féminins de la belle jeune femme lorsqu'il lui fait subir une radiographie pour tester son humanité. Souvent, l'arrivée dans un nouvel hôtel sera l'occasion pour Tetsurô de voir Maetel se déshabiller... lorsqu'il ne vient pas la libérer des tribus qui la ligotent en bikini pour accomplir un sacrifice rituel !

Nous avons parlé un peu plus haut du manteau de Maetel et de ce qu'il peut évoquer de puissant sur le plan du fantasme. Est-il exagéré de voir une ressemblance entre Maetel, qui semble la plupart du temps ne rien porter d'autre sous le manteau qu'un maillot de bain deux pièces et l'ouvre régulièrement devant Tetsurô, et les "flashers", ces pervers qui ouvrent leur imperméable devant les petits enfants ? Sans aller jusque là, et s'il serait exagéré de voir en Maetel des penchants pédophiles, il n'en demeure pas moins qu'elle semble n'avoir aucune gêne à se déshabiller devant le garçon...

Chez Maetel, le rapport au corps est d'ailleurs bizarre, et l'on se souvient de sa remarque qu'elle aussi, un jour, espère retrouver son vrai corps... on se souvient du corps pris dans la glace qu'elle était aller revoir en pleurant sur Pluton (le sien ?)... de la façon dont elle défendit Shadow (qui avait failli tuer Tetsurô !) et son droit à regretter la beauté perdue, empêchant le garçon de détruire le corps congelé de la gardienne du cimetière... et que dire du nombre de fois où l'on voit la belle se laver, comme si elle cherchait à effacer un sentiment de souillure, une culpabilité profonde — peut-être à cause du rôle ambigu qu'elle tient en amenant les jeunes garçons vers Andromède ?

De toute évidence (dans la version originale en tout cas), Maetel voyageait dans un corps qui, bien que fait de chair, n'était pas le sien. Ce mystère n'a jamais été élucidé par la suite, mais on peut aisément penser que le regret de sa première apparence l'ait amenée tout à la fois à cacher ce corps qui lui faisait honte par ce manteau qu'elle n'otait jamais, mais aussi en même temps à rechercher le regard de Tetsurô, en qui elle avait confiance, et à se réjouir à l'idée qu'il puisse la trouver belle.

Les oeuvres récentes telles que MAETEL LEGEND montrent clairement qu'elle a toujours eu la même apparence... mais même si c'est le cas, une petite pirouette de scénario pourrait facilement attribuer cette apparente contradiction à l'usage d'un double de son propre corps, un transfert de son esprit dans un clone de sa chair... En tous les cas, comme beaucoup de fils partiellement tissés par Leiji, on n'a encore jamais eu le fin mot de l'histoire...

Le rapport au corps est un thème important, non pas seulement dans le cadre de Maetel, où il est plus implicite, mais aussi pour les autres personnages. Ainsi, contrairement à Maetel qui est une vraie adepte des douches et des bains, Tetsurô exprime-t-il un dégoût quasi-viscéral pour la propreté, évitant au maximum de se laver s'il le peut, rejoignant, là encore, beaucoup des autres héros masculins de l'auteur, comme si le fait de prendre soin de son corps était peu viril (ne pas se laver serait alors pour lui un signe qu'il est un homme, un vrai).

On pense alors bien évidemment au jeune Ôyama dans Otoko Oidon, étudiant sans le sou qui se nourrit des champignons qu'il laisse se développer dans les replis de ses vieux caleçons jamais lavés, héros emblématique au Japon dont Leiji a lui-même dit que les aventures étaient en grande partie autobiographiques... L'abnégation de la douleur, la négligence des blessures subies au combat, sont également à prendre en compte comme marques de courage et de virilité pour Tetsurô.

Enfin, la façon dont le garçon adore manger de la vraie nourriture et déteste l'alimentation synthétique contraste bien entendu avec l'idée même qu'il pourrait un jour devenir un homme-robot et se nourrir d'huile de vidange et de boulons... Un paradoxe similaire caractérise le comportement du contrôleur : alors qu'il s'échine (on l'a vu plus haut en parlant des manteaux) à cacher ce corps invisible dont il a honte, parce qu'il témoigne de son incapacité à choisir son destin, il éprouve un grand plaisir lorsqu'il peut, à de rares occasions, prendre un bon bain ou un bon repas...

De manière générale, on peut dire que toute la série tourne de près ou de loin autour du rapport de l'individu au corps, au travers du thème même de la mécanisation et de la quête d'immortalité. Et par-delà le rapport au corps, c'est aussi la hiérarchie implicite que l'humain établit entre les différentes parties de lui-même qui est mise en évidence : toute l'odyssée de Tetsurô est fondée sur le désir fou de l'homme de faire durer son corps plusieurs milliers d'années, au risque d'y perdre son âme, qui est donc reléguée au second plan, sa perte étant le prix à payer pour réaliser ce rêve imbécile.

Plusieurs personnages sont emblématiques à ce titre : ainsi la douce Claire, serveuse du train qui espère gagner assez d'argent pour retrouver un corps de chair au lieu de son magnifique corps de verre qui ne ressent plus ni chaud ni froid ; finalement, elle se sacrifiera et explosera en milliers de gouttelettes de verre pour sauver Tetsurô, prouvant par là son attachement à l'âme de l'enfant plutôt qu'à son propre corps...

Le pauvre Olo-Olo, par exemple, dont le corps s'est peu à peu amaigri puis réduit à l'état d'os suite à un chagrin d'amour ; cette femme qu'il n'a cessé d'aimer et qui le méprise a malgré elle peu à peu dévoré, rongé cet homme de l'intérieur, jusqu'à ce qu'il ne soit plus qu'un squelette, mais un squelette qui cache encore une belle âme, capable de s'émouvoir et d'avoir des attentions pour Tetsurô...

On peut encore parler de Luz, une jeune et belle jeune femme qui accepta un jour de se mécaniser par amour pour un homme qui le rejeta ensuite pour un modèle plus récent de femme-robot, et qui est devenue l'unique occupante d'une demeure morbide hors du temps où elle tue tous ceux qui refusent de l'aimer... Et bien sûr de Promescium, la mère de Maetel qui a perdu son âme en se mécanisant, et cherche à entraîner le genre humain dans l'abîme avec elle.


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Ginga Tetsudô 999 © 1977-81 Leiji Matsumoto / Tôei Animation
Ce dossier exclusif © 2003 Stéphane Beaumort / BIS Productions
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