Une interview accordée au site Toonami en 2000,
traduite de l'anglais par Stéphane Beaumort À
la fin de l'année 2000, juste avant la sortie du premier clip de Daft
Punk "One More Time", Leiji Matsumoto avait accordé
une interview au site Toonami. La voici pour la première fois
traduite en français. On vous aura prévenu, c'est parfois un
peu "space"... mais venant de Leiji, cela pourrait-il être
autrement ?!?
Lorsque Daft
Punk est venu vous voir pour la première fois avec le projet DISCOVERY,
quelle a été votre première impression ? Tout
d'abord, quand les deux membres de Daft Punk ont débarqué
de France, comme ça, on aurait dit des astronautes ou des androïdes
sortis tout droit de l'espace. J'ai été très heureux
quand ces deux musiciens, qui avaient été touchés, enfants,
par "Yoake No Haruku", ont tous deux atterri chez moi au
Japon dans ces costumes. C'était comme une rencontre scellée
par le destin, comme si mon monde réel et mon monde imaginaire se retrouvaient
pour ne faire qu'un. J'en ai été très heureux.
Qu'est-ce qui vous a finalement décidé
à entreprendre ce projet ? En quoi vous intéressait-il ?
D'abord,
j'ai toujours aimé la musique, qu'elle soit classique ou autre. J'aime
à dire que les musiciens sont des magiciens. Ce projet signifiait la
mise en adéquation de musique et d'images. Or depuis mon enfance, j'ai
tendance à voir des images lorsque j'écoute de la musique. Associer
cette musique et ces images, c'est quelque chose que je voulais faire depuis
longtemps. En ayant la possibilité de les matérialiser, j'ai
réalisé un rêve, j'ai pu enfin faire quelque chose que
je souhaitais faire depuis longtemps. En un sens, c'était comme si
mon rêve d'enfant était venu jusqu'à moi et pour s'exaucer
sous mes yeux. J'étais vraiment très enthousiaste pour ce projet,
et c'est cela qui m'a vraiment attiré.
Les clips de DISCOVERY vont être diffusés
en même temps dans le monde entier et toucher des gens parlant 55 langues
différentes. Ça vous fait quoi ?
Enfant,
je regardais beaucoup de films et je lisais des mangas en espérant
qu'un jour je pourrais travailler dans l'animation. Je regardais beaucoup
de films étrangers, et le rêve qui dépassait tous les
autres était qu'un jour mon travail soit montré au monde entier.
Ce n'était vraiment qu'un rêve. Et puis voici qu'à la
fin du 20e siècle, au début du 21e, ce rêve est devenu
possible. J'en ai été très touché, et cela me
rend très heureux. J'avais autrefois imaginé que des gens du
monde entier regarderaient mon travail, c'était mon rêve en tant
que créateur, et j'espérais faire partie de la première
génération à pouvoir y arriver, surtout par le biais
d'un mélange entre BD ou animation et musique. Je commençais
à croire que ce n'était peut-être rien d'autre qu'un rêve,
qu'il était trop tard pour ceux de ma génération. Alors
Daft Punk est venu pile au bon moment, quand j'étais encore
capable de m'occuper d'un tel projet. J'ai vraiment l'impression qu'il nous
faut remercier les dieux ou les forces mystérieuses du cosmos pour
cela. Quelqu'un a répondu à mes espérances. En tout cas
c'est ce que je ressens.
Ces clips seront vus par des jeunes, des musiciens
et des graphistes du Japon et du monde entier. Avec-vous un message à
leur communiquer ?
Je
crois que nous entrons dans une ère où non seulement les musiciens,
mais tous les professionnels du monde entier, vont travailler ensemble. Je
crois que ce changement coïncide agréablement avec le passage
du 20e au 21e siècle, comme si l'on passait de l'analogue au numérique.
Je crois que cette ère nouvelle, dans laquelle les jeunes du monde
entier travailleront ensemble, deviendra très bientôt une réalité.
Aussi, je crois que ces jeunes, au lieu de se battre, devraient oeuvrer dès
maintenant avec leurs amis du monde entier afin de permettre aux rêves
d'aujourd'hui de devenir la réalité de demain. Je crois que
nous entrons dans une ère formidable, et je suis envieux de ces jeunes,
car je pense être né 20 ans trop tôt. C'est dommage, mais
en même temps, on dirait que le destin m'a conduit à être
le précurseur de ce changement, comme si [Daft Punk et moi]
nous étions les explorateurs d'un nouveau monde, celui des images et
des medias, hissant la voile et mettant le cap sur le 21e siècle. La
jeune génération possède beaucoup d'artistes très,
très doués, et je suis sûr que ces génies concrétiseront
dans l'avenir des rêves de plus en plus grandioses. Comment ne pas être
enthousiaste en y songeant ?
Qu'avez-vous ressenti en écoutant pour la
première fois "One More Time" ?
L'image
qui m'est venue, c'est ce que vous voyez dans le clip, un monde vraiment futuriste.
J'avais à l'esprit beaucoup de lumières qui clignotaient, quelque
chose comme ça. [Avec une musique pareille] c'est facile d'imaginer,
de créer des images, de visualiser plein de choses différentes,
c'est pourquoi je n'ai pas eu beaucoup de mal. Il y a quelque chose qui a
fait "tilt", me donnant la possibilité d'exprimer par des
images quelque chose qui me tenait à coeur depuis l'enfance. Le fait
que le premier travail dans lequel j'ai pu m'investir de la sorte ait été
un clip, le fait que nous ayons pu ainsi nous rencontrer et mettre leur musique
en images, tout ça c'est vraiment l'effet du destin. Rien de tout cela
ne m'a semblé incongru. C'est vraiment quelque chose que je voulais
faire, et j'y ai pris beaucoup de plaisir. C'est d'ailleurs la première
fois que je m'amuse autant en travaillant. Ce n'est pas simplement le processus
créatif lui-même, mais aussi le fait que le résultat sera
vu dans tellement de pays différents. Il y a eu de nombreux aspects
de ce projet qui coïncidaient avec ma propre perception, ma propre sensibilité,
ce qui est exaltant quand on travaille. C'est un plaisir. Je ne déprime
jamais en travaillant sur ce projet, alors même quand ça devient
un peu dur, on a envie d'aller jusqu'au bout, quoi qu'il arrive. Il est impossible
de créer des images qui procurent du plaisir à moins de prendre
soi-même du plaisir à les réaliser, c'est pourquoi la
notion de plaisir est importante [dans ce métier].